Tous les Portugais savent ce qui s'est passé le 25 avril 1974. La Revolução dos Cravos (révolution des œillets) a été l'événement déterminant dans la création d'un Portugal moderne et de la nation que nous connaissons aujourd'hui. En fait, la date est tellement connue que l'expression "Revolução dos Cravos" n'est pas utilisée couramment. Tout comme les Américains parlent du 4 juillet, les Portugais parlent du 25 avril.
Que s'est-il passé ce jour-là?
En bref, il s'agit d'un coup d'État militaire. Il a été organisé par un groupe de forces armées connu simplement sous le nom de MFA (Movimento das Forças Armadas, ou Mouvement des forces armées), qui englobait un large éventail de points de vue politiques et d'idées sur l'avenir du pays, mais qui était uni dans son objectif de mettre fin au régime autoritaire de l'Estado Novo (Nouvel État). Le MFA a secrètement réquisitionné une partie importante de l'appareil militaire du pays et avait un plan. Le 24 avril, une chanson devait être diffusée à la radio par des DJ favorables au coup d'État. Il s'agit de la chanson de Paulo de Carvalho, E Depois do Adeus, qui a participé au Concours Eurovision de la chanson en 1974. Les militaires commencent alors à se préparer pour le lendemain. Le 25 avril, à 0h20, une autre chanson est diffusée. Grândola Vila Morena de Zeca Afonso indique que les principales cibles militaires et civiles doivent être prises en même temps. Le plan a fonctionné à merveille et les autorités du régime d'extrême droite n'en ont rien su jusqu'à ce qu'il soit trop tard. La révolution s'est déroulée presque sans effusion de sang. Seules quatre personnes ont été tuées ce jour-là, et ces deux chansons resteront à jamais dans les mémoires portugaises comme des chants de liberté.
Bien que les militaires aient incité la population à rester chez elle à la radio, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Lisbonne pour fêter l'événement avec les troupes. L'un des principaux points de rassemblement était le marché aux fleurs de Lisbonne, et les œillets étaient de saison. De nombreux insurgés ont placé des œillets sur les canons de leurs fusils, pour symboliser le fait qu'ils n'avaient pas eu à tirer. Ces images ont été diffusées dans le monde entier et sont devenues synonymes de l'une des révolutions les plus pacifiques au monde.
Qu'est-ce qui l'a provoquée?
Le Portugal et l'Espagne, qui étaient restés neutres pendant la Seconde Guerre mondiale, étaient parmi les rares pays d'Europe à avoir encore des régimes autoritaires d'extrême droite au pouvoir à ce moment de l'histoire. Le premier dictateur fasciste du Portugal, António de Oliveira Salazar, l'homme fort qui avait mis en place l'Estado Novo, était déjà décédé. Son remplaçant, Marcello Caetano, n'avait pas la même aura d'invincibilité. La politique socialement conservatrice et économiquement austère de l'Estado Novo rendait le régime de plus en plus impopulaire alors que l'Europe se remettait de la grande guerre et commençait à se tourner vers l'avenir. En outre, le régime s'opposait fermement à la décolonisation, entraînant le Portugal dans une série de conflits massifs, sanglants et horribles en Afrique pour maintenir son emprise sur l'Angola, le Mozambique, la Guinée-Bissau, São Tomé et Príncipe et le Cap-Vert. La guerre fait rage depuis plus de dix ans et a déjà tué près de 10 000 soldats portugais. Les militaires en avaient assez, tout comme la population.
Que s'est-il passé par la suite?
Comme nous l'avons mentionné, le MFA était très diversifié sur le plan idéologique. Ses dirigeants allaient des communistes, qui voulaient que le Portugal entre dans l'orbite de l'URSS, aux capitalistes du marché libre, qui voulaient faire du Portugal une démocratie libérale. À la chute du régime, tous les prisonniers politiques ont été libérés et tous les hommes politiques en exil sont rentrés au pays. Certains des plus grands esprits politiques de l'histoire du Portugal, comme Álvaro Cunhal, Mário Soares ou Francisco de Sá Carneiro, sont entrés dans la mêlée politique et le PREC a vu le jour. Le PREC (Período Revolucionário em Curso ou Période révolutionnaire en cours) durera deux ans, avec des partis politiques qui se forment et se dissolvent, une grande confusion et plusieurs tentatives de coups d'État et d'initiatives réactionnaires.
Un an après la révolution, le 25 avril 1975, des élections sont organisées pour élire une assemblée chargée de rédiger la constitution portugaise. Cet été-là, connu sous le nom de Verão Quente (été chaud), fut peut-être le moment le plus tendu de tout le processus. Plusieurs courants différents tentent d'accéder au pouvoir. La constitution est finalement approuvée le 2 avril 1976. Les élections du 25 avril de la même année furent les premières élections libres pour l'Assemblée de la République, marquant le début d'un Portugal démocratique et enfin libre.
